Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vers l'Australie et Au-delà
22 juin 2013

Episode 12: Vivre à Kulin

Vivre à Kulin c'est découvrir lentement la poésie discrète et profonde de cette campagne australienne, bénéficiant encore de l'humidité nocturne d'un littoral situé à 300km et qui compense l'aridité des terres intérieures. Kulin est une de ces bourgades de la «Wheatbelt» grenier à blé de l'Australie, épicentre de vie sociale des fermes avoisinantes, autour duquel se sont développés de rares commerces essentiellement basés sur la vente de matériel agricole.

 DSC02857

 

DSC02796Ce genre de microcosmes espacés les uns des autres d'une soixantaine de kilomètres en moyenne témoignent de la patiente et laborieuse colonisation de ce large territoire sauvage et sec, rafraîchi de temps à autres par quelques pluies abondantes.On met le temps pour se mettre au diapason de cette vie lente et contemplative. Une période de décélération nécessaire permet finalement d'entrevoir dans cette monotone succession des jours, la subtile et mélodieuse magie des lieux. Ce Charme n'est pas de ceux brillants et clinquant qui vous émerveille dès que vous vous y aventurez, non ! Celui de Kulin et sa région est timide et demande à être apprivoisé lentement pour en dévoiler sa force.

 

 

Car vivre dans cette région relativement isolée et dédiée principalement à la culture de la terre, c'est faire l'expérience d'une autre valeur de temps, d'une autre manière de voir le temps qui passe. Et même si il passe toujours trop vite à mon goût, ce gouverneur d'ordinaire impitoyable ici ne presse pas, il accompagne et donne à voir avec acuité ce que par habitude on néglige. Cette sensation pour moi nouvelle est peut être celle que l'on retrouve dans toutes les campagnes du monde, après s'être installé suffisamment longtemps au sein d'une nature omniprésente qui vous fait battre le cœur à son rythme primordial.DSC02943

 

 

Car la beauté de ces lieux réside avant tout dans celle de sa vie "sauvage" qui n'a été que mollement bousculé par l'implantation d'un modeste km² d'habitations, au milieu des milliers d'autres vierges qui constituent cette gigantesque plaine.

Ce foisonnement vivant se manifeste dans un premier temps par les oiseaux nombreux et omniprésents. Du caquètement strident et sonore des "twenty-eight" magnifiques perroquets verts, aux émouvants miaulements plaintifs des corbeaux, en passant par les conversations enthousiastes de perroquets roses et gris, le village est bercé tout le long du jour par la vie trépidante des volatiles, passant d'un arbre à un autre, d'une extrémité du village à l'autre au silencieux signal connus d'eux seuls.

 DSC02770

 On observe alors dans le ciel rendu immense par la platitude de ce paysage désertique, leur vol si singulier selon les espèces. Le frottement des ailes bruissantes des corbeaux occasionnellement muets dans l'air vif, la joute volante alambiquée des couples de «twenty-eight», la migration soudaine des perroquets roses et gris où, chaque oiseau prend à son tour l'initiative de la trajectoire commune, ou encore le vol tranquille et lointain des canards sauvages, tout ceci offre au regard aiguisé le contrepoint visuel du concert ininterrompu enveloppant Kulin de l'aube au crépuscule.

 

 

DSC02937Pour peu que l'on s'éloigne des majestueux et odorants eucalyptus, constituant une ville de volatile dans la ville des hommes, le silence se fait plus lourd et plus profond. Une fois les habitations camouflées au loin par de hauts arbustes désséchés dont l'écorce en lambeaux vole au vent, les ingrédients composant le séduisant sortilège de ces lieux se révèlent dans toute leur intensité. Cette terre rouge, aride et dure de laquelle on se demande par quel miracle les hommes ont pu en tirer de si généreuses récoltes. Cette terre infiniment plate et ponctuée ça et là de rocs énormes, ultimes vestiges de monts depuis longtemps disparus, de lacs de sels s'asséchant toujours un peu plus et de ces courageux arbustes, buissons ou eucalyptus s'élevant assez régulièrement pour que cette terre ne soit appelée désert.

 

 

 

DSC02878 Si la vie végétale et céréalière existe en dépit de l'apparence du paysage c'est d'une part en raison des pluies hivernales peu fréquentes mais généreuses mais surtout grâce au réseau phréatique naturel du sud australien. En effet, le sous-sol du pays, sur une portion incroyablement étendue (d'Adélaïde à Perth) est sillonné d'un vaste réseau de rivières souterraines alimentées par les pluies. L'eau filtrée par la roche y est donc d'une pureté comparable à celle de nos plus belles sources,et suffisamment abondante pour que la végétation puisse y trouver son indispensable moyen d'existence.

 

 

 

Cette flore qui résonne, selon le type de feuilles qui peuple ses branches d'un son, tantôt cristallin semblables à celui de milliers de perles de verres roulant les unes sur les autres, tantôt plus grave et vrombissant, sous les bourrasques aussi soudaines qu'impétueuses d'un Zéphyr aux modulations infinies. Parfois doux comme une caresse rassurante, il gifle et mord sitôt qu'il obstrue le soleil d'épais nuages. Parlons-en de ces nuages, et surtout de ce ciel, ultime composant de cette potion magique qui transforme une simple agglomération fermière, en un petit sanctuaire louant la beauté simple du monde.

 DSC02867

 

Chaque jour le ciel se mue en une toile de peintre à l'humeur changeante, qui ne lésine ni sur les clichés, ni sur les effets de styles. Les bandelettes de nuages d'un régularité si parfaite, savamment agencées dans un bleu azur, insolent nuancier d'un paysage photoshopé, feraient parfois penser aux toiles peintes d'un « Truman show ». Cette modeste communauté de 350 âmes prend alors des allures de grand décor cinématographique avec ces nuances subtiles de lumières, ces couchers de soleils incroyables ou dans lequel une promenade nocturne se mue en une béate redécouverte de la Nuit. Le parfait dessin d'une voûte céleste poinçonnée de milliers d'étoiles résonnantes et la spatialité d'un silence nocturne, composé d'aires dans lesquelles les manifestations de vies plus ou moins proches donnent une perception nouvelle des distances, procurent l'intense sensation de retrouver sa véritable condition d'être humain, celle d'être adapté à un environnement dont on s'émerveille de chaque aspect.

Kulin c'est la peinture vivante d'un agréable purgatoire duquel on se retrouve néanmoins prisonnier pour quelques semaines ou mois. On y patiente en vue d'une libération certaine, une bière à la main, devisant de tout et de rien, surtout de rien, avec des locaux forgés à cette immuable répétition des jours. Ces gens nés, grandis et vivant toujours à Kulin ont cette capacité étrange de vous devenir rapidement sympathiques sans jamais devenir pour autant vos amis. Et même entre eux, les relations généralement tiennent plus de la cordiale camaraderie que d'une sincère et chaleureuse amitié. Le «kulinien» semble avant tout centré sur lui-même et ses préoccupations agricoles puisque logiquement, ici c'est la terre qui dicte le rythme de vie.

 DSC02886

 

C'est la succession des saisons et des obligations que chacune impose qui mobilisent l'attention de chacun, orientent les conversations et créent les rares événements autour desquels la communauté frissonne de sursauts enthousiastes. Le plus célèbre d'entre eux étant les «Kulin Bush Races» rassemblant entre 4000 et 5000 personnes autour de courses à cheval à travers la lande, aujourd'hui plus prétexte à l'ivrognerie générale, qu'à la compétition équestre teintée de visite champêtre qu'elles étaient à l'origine.

Reste qu'imaginer Kulin, cette paisible bourgade inondée d'une foule assoiffée et bruyante, relève presque de l'impossible tant la vision qui me restera sera celle de ces vastes paysages déserts, de ce ciel calme animé de chorégraphies volantes, ces bassins devant lesquels, assis dans le soleil chaud de l'après-midi, je goûtais la vision d'insignifiants insectes, gravitant sur l'eau à contre-jour tels les particules d'un atome, la litanie stéréophonique d’infatigables grenouilles derrière laquelle discrète, l'activité humaine se manifestait par les basses d'un tracteur lointain.

DSC02949

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité